"Personne ne nous demande ce que nous avons vécu là-bas"

Publié le par afrique-actu.com

refugie-libye.jpgPierre Salignon, directeur de l'action humanitaire de Médecins du Monde, témoigne de la situation des migrants au poste frontière de Saloum, entre la Libye et l'Egypte.

 

Saloum, petite bourgade égyptienne située à l'extrême ouest du pays. A quatre kilomètres de cette ville portuaire, le poste frontière avec la Libye ne désemplit pas. Sur le plateau désertique et venté qui sépare les deux pays, l’armée égyptienne est omniprésente.

 

Quelques voitures s’engagent vers la Libye, parfois des ambulances rapatrient des blessés. Mais l’essentiel du flux provient de ressortissants étrangers qui fuient les violences en Libye.

 

Ici, depuis février dernier, plus de 100.000 personnes ont déjà transité avec l’espoir de pouvoir rejoindre leurs pays d'origine. Plus de 30 nationalités, dont une majorité d'Egyptiens (ils seraient 1 million en Libye, selon des estimations difficiles à vérifier, et représentent 70% des personnes évacuées). Tous ces déplacés vivaient et travaillaient en Libye.

 

Opération d'évacuation "particulière"

 

Certains étaient spécialisés, mais la plupart de ces travailleurs représentaient une main d'oeuvre bon marché, peu qualifiée, souvent très pauvre, originaire le plus souvent de pays à faibles revenus d'Asie (Bangladesh, Philippines ou encore Chine…) et d'Afrique Subsaharienne (Maliens, Nigériens, Tchadiens, Soudan, Cameroun...).

 

Après une période de flottement, certains ont pu bénéficier sans trop de délais, du soutien de leurs ambassades pour être rapatriés chez eux, à l'instar des Européens ou des Chinois. D’autres, originaires de pays plus défavorisés, n’ont pas eu la même chance.

 

Originaires du Bangladesh, du Mali, du Nigéria, ou d’ailleurs, ils sont souvent sans documents de voyage, ni preuves d’identité, ce qui complique les opérations de transit. De façon générale, leurs ambassades ont été dépassées par leur fuite soudaine.

 

C'est en fait une opération d'évacuation un peu unique qui a pris forme aux frontières de l'Egypte (et de la Tunisie), mobilisant les chancelleries du monde entier, et des moyens logistiques importants (bus, avions, bateaux).

 

Sur place, on croise des diplomates soudanais à la recherche de leurs ressortissants, l’ambassadeur du Mali, des délégations d’USAID et de l’Union européenne, d’autres pays africains et arabes aussi, etc. Sans sauf conduit, pas de transit possible sur le territoire égyptien.

 

Une noria de bus vient les chercher une fois les papiers tamponnés, avant de les conduire directement au Caire pour prendre un avion, à moins qu’ils ne fassent le trajet en bus vers les frontières du Soudan.

 

2.000 personnes par jour

 

Au poste frontière de Saloum, 2.000 personnes affluent chaque jour. Fin février, le chiffre des arrivées a pu atteindre 6.000. Personne ne sait pourtant combien de personnes pourraient encore arrivées. Beaucoup de ces travailleurs étrangers restent dans l’impossibilité de quitter la Libye à cause de la guerre. Par peur ou par manque de ressources, ils se cachent ou ne peuvent emprunter les moyens de transports disponibles. On dit que "25.000 Tchadiens pourraient prochainement arriver", quelques centaines de Syriens aussi.

 

Des regroupements importants de Somaliens et d’autres ressortissants africains attendraient d’être évacués du port de Benghazi et d’autres localités. En fait, personne ne sait exactement. Mais tout laisse à penser - la situation de guerre pouvant durer - qu’il faut s’attendre "à une seconde vague de sorties" en Egypte, peut-être plus massivement vers la Tunisie étant donné la proximité de Tripoli.

 

Dans la zone d'attente entre les frontières libyenne et égyptienne, plus de 5.000 personnes étaient encore présentes le 8 mars dernier. Vivant à même le sol, en plein air le plus souvent (des familles ont été admises dans les hangars des douanes après négociation), dans des conditions d'hygiène très précaires. Le nombre de toilettes n'est pas suffisant. Des camions citernes font office de douches.

 

Eviter un camp durable

 

Les autorités égyptiennes qui veulent éviter de voir se "fixer" un camp plus durable, résistent par exemple à toute distribution de tentes, même pour un séjour temporaire. Pourtant la durée de séjour des nouveaux arrivants n’excède pas 10 jours en moyenne.

 

Mais ces autorités, avec l'aide des Nations Unies et de quelques ONG, fournissent nourritures, soins et aide administrative pour le transit sur le territoire égyptien. Faute d’abris, les ressortissants se protègent de la pluie, du vent et des températures fraiches comme ils le peuvent; ils empilent leurs bagages autour d’eux et posent des couvertures et des nattes sur le sol.

 

La fatigue est visible, les frustrations aussi. "On ne sait pas ce qu'il se passe; hormis quelques questions sur nos papiers et les formalités à remplir, nous ne savons rien. Personne ne nous demande ce que nous avons vécu là-bas", lance un jeune Camerounais. La barrière de la langue est un réel problème étant donné le nombre de nationalités différentes représentées.

 

Récits de fuite

 

Les récits de fuite sont souvent les mêmes. Vols systématiques des papiers, d'argent, de cartes de téléphones, de biens personnels. Parfois, ils ont été victimes de violences, de coups de bâtons ou même indirectement d’assassinats.

 

Les familles sont peu nombreuses mais leur nombre augmente ces derniers jours. Un cas de viol a été recensé: une jeune femme d’origine africaine qui vivait dans le Sud de la Libye.

 

Les Africains, noirs, sont semble-t-il l’objet d’une discrimination plus particulière. "Ils [les Libyens,ndlr] ne nous considèrent pas comme des êtres humains", me disait un jeune Malien dénonçant le racisme dont il a souffert.

 

Il ajoutait, "la rumeur selon laquelle nous sommes des mercenaires à la solde de Khadafi a été propagée dès les premiers jours des affrontements; il y a eu des recherches dans la maison pour nous faire partir; cela a été très violent tout au long du chemin".

 

Un autre s’inquiète pour "ses frères" dont il n’a pas de nouvelles et pour ceux qui se cachent et n’ont pas osé ou pu prendre la fuite. "Pour arriver ici, on a payé 1.000 dollars. On a changé plusieurs fois de route, et à chaque fois, on a été rançonné et battu", témoigne-t-il.

 

Médecins du Monde a mis en place une équipe de soins médicaux et psychologiques en appui des acteurs égyptiens et des Nations Unies présents pour faciliter l’identification des cas médicaux dans la foule des nouveaux arrivants et pour tenter de les rassurer dans la période où ils transitent à Saloum. Mais aussi pour faciliter l’évacuation de cas graves vers l’hôpital de Saloum et surtout pour les écouter. Leur demande de témoigner de ce qu'ils ont vécu est forte.

 

Tous veulent rentrer chez eux, "pour ne plus revenir". Ils ont peur de l’avenir et se demandent comment ils vont vivre sans ressources alors qu’ils étaient déjà un soutien pour leur famille. L’impact économique de la crise et de la fuite des travailleurs étrangers de Libye aura des conséquences dans leur pays d’origine. Ici, à Saloum, se déverse la misère des travailleurs migrants originaires de la région, d’Afrique et d’Asie.

 

Pierre Salignon, directeur de l'action humanitaire de Médecins du Monde

http://www.youphil.com/fr/article/03640-frontiere-saloum-egypte-libye-kadhafi?ypcli=ano

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D
<br /> en lisant cet article, je pense que les guerres sont toujours effroyables. Les souffrances sont nombreuses et quelque part nous sommes aussi responsables.<br /> Merci pour cet article<br /> et je découvre avec plaisir un mandala coloré il y a un bout de temps.<br /> bonne soirée<br /> <br /> <br />
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